Après une saison de crève des huîtres sur les côtes françaises, marquée par la mortalité subite des moules dans le pertuis breton, Jean-François Le Bitoux nous entraine maintenant dans les méandres tortueux de la Politique de développement de la conchyliculture française...
Illustration : Passons l'éponge sur la mortalité des huîtres dans Ostrea.org : Quel avenir pour l'ostréiculture ?
Illustration : Passons l'éponge sur la mortalité des huîtres dans Ostrea.org : Quel avenir pour l'ostréiculture ?
Rappelez-vous au début de l’année 2014, Jean-François Le Bitoux - véto aquacole globe-trotter - y croyait encore à la résurrection des huîtres : Mortalités ostréicoles : 2014 l'année des solutions ? Chiche ?
Y croyait un peu moins après la mortalité massive des moules sur les côtes charentaises et vendéennes : Mortalités des moules : Nouvelles pathologies « inconnues »?
Quand la science vétérinaire débouche sur une réflexion politique...
Diffuser ou résister à la diffusion : Fractales fatales, par Jean-François Le Bitoux
« Il y a deux types de populations. Il y a ceux où ce type d’information circule, et puis ça ne se diffuse pas à l’intérieur du reste du système. »
L’anthropologue s’étonne d’un problème qu’il connait et dénonce depuis toujours : ce qui parait simple aux uns est parfois insupportable et irrecevable aux voisins. Bruno Latour enseigne que le « fait scientifique » est peu de choses sans le « fait sociologique » qui le porte. La science pastorienne n’existerait pas sans l’encadrement sociétal et de communication que le savant a su gérer simultanément. Peu avant Pasteur, Semmelweis constatait « scientifiquement » par les statistiques, que se désinfecter les mains faisait baisser les mortalités dans les maternités. Ce constat ne fut pas partagé à l’époque !
Vétérinaire de terrain depuis 40 ans, j’ai reconnu dans la description anthropologique du fonctionnement des sociétés de pêcheurs de l’Ile d’Houat, d’ostréiculteurs, de saliculteurs, une approche « holistique » que le véto pratique au quotidien : on ne soigne pas en étudiant tel ou tel paramètre mais en vérifiant comment les fonctions vitales s’équilibrent entre elles, bien ou mal.
Scientifique, j’ai longtemps cru que cette rigueur suffit à rendre accessible la biologie, la physiologie, les dérives pathologiques et les thérapeutiques curatives ou mieux encore préventives. Même sans en connaître les détails, on peut accepter qu’il existe un lien entre population croissante et l’émergence de pathologies. Le risque pathologique augmente avec l’augmentation et la densité des populations et, pour en limiter l’effet, il faut définir et mettre en œuvre une zootechnie de plus en plus rigoureuse.
Illustration : L'heure est grave ! Selon les informations dont nous disposons, les parcs, bassins et claires sont encore gavés d'huîtres. En effet, ce sont bien des centaines de tonnes qui restent invendus... Comité de Survie de l'Ostréiculture dans Ostrea.org : Prix de vente à la production des huîtres
Illustration : L'heure est grave ! Selon les informations dont nous disposons, les parcs, bassins et claires sont encore gavés d'huîtres. En effet, ce sont bien des centaines de tonnes qui restent invendus... Comité de Survie de l'Ostréiculture dans Ostrea.org : Prix de vente à la production des huîtres
« Élémentaire mon cher Watson ? Pas tant que ça mon cher Holmes ! ». Car il existe dans toute démonstration scientifique des paramètres culturels et environnementaux masqués ou ignorés qui bloquent « la diffusion vers l’intérieur des écosystèmes ». L’environnement du vétérinaire, c’est d’abord le propriétaire de l’animal qui ayant perçu quelque dysfonctionnement, demande de l’aide pour retrouver une homéostasie. Si personne n’appelle, aucune thérapie ne résoudra rien !
Et c’est ce qui se passe aujourd’hui en conchyliculture le long des côtes françaises! Vous avez pu lire que bactéries et virus contribuent à la destruction des élevages mais l’étiologie et l’épidémiologie anthropologique ou sociologique de ces maux montrent qu’aucune des parties prenantes – producteurs, chercheurs, administration maritime – ne s’y impliquent suffisamment pour chercher à résoudre les problèmes. L’émergence de pathogènes est un phénomène parfaitement naturel qui résulte du laisser aller des uns et des autres. Tout ceci vient d’être enfin rapporté dans l’expertise du Professeur Puyt de l’Ecole Vétérinaire de Nantes.
Vous ne savez pas ce que sont les lois de l’épidémiologie, ce message ne se diffusera de lui-même nulle part, même chez ceux qui en ont le plus besoin ! À moins qu’ils n’en aient pas vraiment besoin ? Et qu’il y ait d’autres intérêts masqués qui soient plus solidement défendus que la vie des coquillages et des entreprises ?
Chacun se construit une identité bordée de membranes de sécurité culturelles, scientifiques, administratives, religieuses ; elles sont certes souples mais souvent imperméables à ce qu’on ne veut pas entendre et plus encore à ce qui n’a pas été exprimé. Je laisse conscience et inconscience aux psys, sans complètement les ignorer mais il manque un « détail » à cette histoire de conchyliculture qui se meurt : c’est le commerce qui prime sur la santé des élevages. Les huitres se promènent à travers toutes la France et au-delà en suivant des circuits commerciaux qui structurent le reste de l’activité : y toucher est une telle remise en cause de l’histoire de l’ostréiculture française que cette hypothèse n’est pas retenue. Evidemment virus et bactéries circulent aussi et il sera donc plus difficile de s’en débarrasser. En attendant, ce sont les circulations commerciales des virus et bactéries qui détruisent les animaux et la profession : un véritable suicide assisté ! La conchyliculture a progressé en « colonisant » des territoires nouveaux (Irlande) et aujourd’hui, les produits commerciaux reviennent de ces territoires récemment colonisés où un écosystème neuf les protège provisoirement de l’émergence de pathogènes et ils font concurrence aux produits locaux ! Bref une défaite qui n’a rien d’étrange ! Voilà un « fait sociologique » plus solide que le « fait scientifique » ! On pourrait définir des thérapies préventives, encore faudra-t-il les faire appliquer et donc limiter la circulation des stocks !
Suite : Blog de Paul Jorion
Suite : Blog de Paul Jorion